Ils font trou de tout bois. Pour se nourrir, se loger marquer leur territoire et éviter qu'il ne pousse trop, les pics doivent sans cesse jouer de leur bec. Mais s'il arrive qu'ils nous cassent oreilles et volets, ils font aussi oeuvre utile...
Impressionnant spectacle que celui d'un pic sur une branche: si stable qu'il semble vissé sur son appui, il fait jaillir une pluie de copeaux à coups de bec précis et alertes, s'interrompt pour engloutir quelques proies, puis continue sa progression par petits bonds méthodiques. Un véritable artisan! C'est qu' au fil de l'évolution, les pics se sont étroitement spécialisés dans le mode de vie arboricole, dont ils sont devenus des experts. Leurs pattes courtes se terminent par quatre doigts griffus capables de se ficher dans le tronc le plus lisse. Leur queue, puissante, est constituée de douze plumes (les rectrices) à la rigidité renforcée: c'est un formidable appui qui leur confère, sur un tronc une grande stabilité, et surtout leur donne de l'élan pour percuter le bois.
10000 coups de bec par jour!
Car la percussion, c'est la grande spécialité des pics, qui y excellent tous à des degrés divers. Leurs outils? Un bec épais, massif, consolidé par une carène, qui grandit très rapidement pour compenser l'usure: jusqu'à 2 cm par mois! Ce bec est lui-même au centre d'un dispositif complexe d'amortissement des chocs, dont le rôle est de protéger le cerveau des vibrations occasionnées par quelques 10 000 impacts quotidiens. articulations, tendons, cartilage, muscles de la langue concourent tous à absorber les ondes de choc. Les muscles de la nuque, sont particulièrement puissants, car quand le pic frappe il fiche profondément son bec dans le bois puis en détache un copeau par une rapide torsion de la tête. Enfin, tout cet outillage sophistiqué est ultra-rapide: un pic peut atteindre douze impacts par seconde, une fréquence aux limites du visible pour l'oeil humain! La première fonction de la percussion, naturellement, est d'ouvrir un accès à la nourriture. On trouve en effet dans le bois de très nombreux insectes, en général sous forme de larves, qui ont élu domicile dans ce milieu très protecteur, même s'il est inconfortable et peu nutritif. Certaines de ces larves ont si peu de prédateurs qu'elles atteignent des dimensions impressionnantes: jusqu'à 9 cm. Et leur densité est importante, puisque dans une forêt de pins on peut en trouver de plusieurs centaines à quelques milliers par hectare, localisées dans des arbres morts ou affaiblis, ou bien dans des souches. Les pics sont pratiquement les seuls animaux capables d'accéder à cette manne, d'autant qu'en plus de leur bec ils disposent d'une langue particulièrement impressionnante. Cet organe, en effet, peut chez le pic noir dépasser 70 cm, ce qui lui impose de l'enrouler dans un fourreau située autour de la boîte crânienne! Grâce à des glandes salivaires spéciales, cette langue est particulièrement collante, et elle se termine pour couronner le tout par un dispositif en harpon! Une fois qui ils se sont ouvert l' accès à une galerie d'insecte, il leur suffit d'y introduire la langue pour transpercer et récupérer le propriétaire des lieux.
" Plans de gestion et astuces"
Mais qui peut le plus peut le moins, et les pics s'intéressent également à des proies faciles d'accès, notamment toutes celles que l'on trouve sur l'écorce des arbres. La plupart des pics font une consommation impressionnante de fourmis. Le pivert, d'ailleurs, semble s'être à tel point spécialisé dans ces insectes qu'il détecte très habilement les fourmilières et se nourrit surtout au sol, camouflé par sa robe verte, rompant ainsi avec les traditions familiales... Une remarquable vertu de cet oiseau est que, à l'instar des chasseurs, il pratique le plan de gestion: il ne détruit jamais une fourmilière complètement. Même s'il lui fait passer un mauvais quart d'heure, il laisse cepandant (même l'hiver) suffisamment d'adultes d'oeufs et de larves pour que la colonie puisse survivre... et éventuellement lui servir à nouveau de repas.
Le plus opportuniste des pics, le pic épeiche, est également amateur de baies et de graines, et il n'est pas rare de le voir sur les mangeoires destinées à aider les passereaux à passer l'hiver. Son mets de prédilection, cependant est le cône de pin ou d'épicéa. Pour en récupérer les graines (il peut en manger 7 500 par jour), le pic épeiche a développé une technique originale il commence par trouver une fente aux bonnes dimensions dans un arbre, qui deviendra ce qu'on appelle sa « forge ». Il y coince ensuite le cône d'un mouvement énergique, avant de le réduire en miettes à coups de bec. Ensuite il l'extrait, le remplace par un autre, ce qui entraîne rapidement une accumulation d'écailles de pin au pied de l'arbre... un bon moyen pour repérer et observer le travail de I' artiste. Le pic épeiche peut aussi, quand la nourriture se fait rare, se nourrir de la sève des arbres: il creuse des séries parallèles de petits trous dans leur écorce, et y plonge sa langue pour récupérer les sucres... Un débrouillard, en somme. Les autres espèces, remarquons-le, savent aussi s adapter.
Pour se loger, Ies pics recourent également à la percussion. Tous nos oiseaux passent en effet leurs nuits dans des cavités creusées dans des arbres. Ces abris nécessitent jusqu'à un mois d'efforts avant d'être terminés, d'autant qu'il faut évacuer les matériaux méticuleusement pour rendre le lieu habitable. Certains, tel le pic épeiche, semblent préférer faire leur loge dans des bois tendres, voire pourris, pour d'évidentes raisons d'économie d'énergie. Mais le pic noir affectionne les grands fûts sains de hêtre, où il fore des cavités de plus de 40 cm de profondeur (on a dénombré jusqu'à 10000 copeaux au pied d'un trou de pic..) De plus, avant de faire leur choix sur un emplacement de loge, ils font généralement plusieurs essais et creusent des ébauches, qui ne se déploient certes pas aussi loin qu'une loge mais nécessitent tout de même des heures de travail.
Mais surtout, la percussion sert à se reproduire et à marquer son territoire. Les pics sont des animaux très territoriaux, qui vivent dans un milieu fermé (la forêt), et il est donc logique qu'ils aient mis au point des systèmes sonores pour signaler leur présence. Ne sachant pas chanter comme les passereaux, ils utilisent les cris et surtout leurs tambourinements caractéristiques. Tous les pics martèlent donc d'une façon très particulière des supports choisis pour leur forte résonance ( les «tambours»), le plus souvent de longues branches sèches dépourvues d' écorce, et cette activité culmine à la saison des amours, c'est-à-dire au début du printemps, pour s'interrompre vers le mois de mai. Les rafales de coups qu'ils portent à ces supports ont des fréquences très élevées (plus de dix impacts par seconde) et caractéristiques de chaque espèce, ce qui indique à chaque pic si c'est un congénère qui tambourine, et même précisément si c'est son partenaire ou pas!
La percussion est si importante dans la vie de ces oiseaux qu'elle serait devenue, selon certains, une sorte de « manie » même sans véritable raison, ils auraient besoin de taper un peu chaque jour. D'où une partie des dégâts qui leur sont attribués. Car il faut bien admettre que malgré leurs côtés sympathiques il arrive aux pics d'être quelque peu destructeurs. Les granges et les volets, en particulier, font souvent les frais de leurs attaques, alors qu'il n'y a visiblement là aucune nourriture possible pour eux. Ces dégâts ne sont pas toujours négligeables !
Même le zinc...
Mais personne ne sait au juste comment les éviter. Une compagnie américaine a même dépensé des sommes importantes en recherches pour trouver un enduit ou une peinture repoussant les pics... en pure perte, aucun produit ne s'étant révélé efficace. » On a même vu des particuliers protéger leur volet déjà endommagé d'une plaque de zinc que l'oiseau, entêté, contourne pour s'attaquer à nouveau au bois, par en-dessous... Et si la tentation est parfois grande de prendre son fusil, rappelons que toutes les espèces de pics sont protégées.
Les forestiers se plaignent aussi des destructions occasionnées par les pics. Celles-ci sont cependant limitées, car les oiseaux ne se nourrissent que sur les arbres déjà très parasités qui n'ont plus de valeur commerciale. Par contre, le creusement des loges se fait parfois dans des arbres sains, et il est certain qu' il ouvre dans ce cas la porte à toutes sortes d`envahisseurs (champignons, insectes, bactéries). Après certaines tempêtes en Bretagne, des comptages ont montré qu'un pourcentage non négligeable des arbres brisés l'étaient au niveau des loges de pic...
"Le pic noir est un esthète: on dirait qu'il fait exprès de toujours choisir un bel arbre bien droit âgé d'environ 100 ans, et de se mettre sous la première branche, c'est-à-dire à l'endroit qui a le plus de valeur! Mais il faut relativiser aussi: sur un bois de 30 hectares, on n'a recensé que vingt arbres forés." Chaque espèce a sa préférences: le pic noir est un inconditionnel du hêtre, le pic vert aime peupliers et marronniers, alors que le pic épeiche affectionne chênes, érables, bouleaux et... pommiers. Cependant, les consciences évoluent: ainsi l'Office national des forêts laisse maintenant un certain pourcentage de vieux arbres subsister dans ses parcelles. Les pics peuvent à présent y sévir librement, et c'est tout l'éco-système forestier qui est gagnant car nos percussionnistes y jouent un rôle capital. D'une part, i1s accélèrent considérablement la décomposition des souches et du bois mort (il suffit de voir une grosse branche au sol après le passage d'un pic noir: elle est littéralement démontée!), ce qui permet ensuite aux petits organismes de les transformer en humus, régénérant ainsi la terre.
Le Pic construit pour les autres
Mais surtout les pics sont pratiquement les seuls à pouvoir arrêter la terrible crise du logement qui sévit en milieu forestier. En forêt, il faut bien le dire, tout le monde utilise les trous de pics, surtout que ces derniers en creusent plus qu'ils en occupent. On peut trouver dans ces cavités des passereaux (rouges queues, gobe-mouches, choucas, sittelles...), des rapaces utiles (hulottes, chevêches, chevêchettes, hiboux moyen-ducs etc.), divers insectes sociaux (abeilles, guêpes). Certains mammifères y habitent volontiers: loirs, lérots, écureuils, martre, chauve-souris... des chats sauvages ont même été observés dans des loges de pic noir. Ces trous sont même le seul habitat possible pour la chouette de Tengmalm qui, incapable de creuser elle-même son trou, a donc beaucoup bénéficié de l'expansion récente de l`espèce.
Pire, il arrive aux pics de se faire expulser de leur propre loge par des squatters: pigeon colombin, rollier, choucas et même le modeste étourneau parviennent à mettre en fuite le pic noir! Mais celui-ci ne cède pas à l'abattement: il entreprend aussitôt la construction d'une nouvelle demeure...
En somme, une forêt sans pics n'est plus tout à fait une forêt.