2012 - Première Nidification
de la Grande aigrette en Belgique aux Argilières de Ploegsteert - RNOP
1° Présentation du site des Argilières de Ploegsteert
La ville de COMINES-WARNETON (7780) est une commune de Belgique, située dans la province de HAINAUT (occidental) près de MOUSCRON, KORTRIJK, IEPER.
Des 5 communes d’avant fusion, PLOEGSTEERT (7782) est celle qui se trouve au SW de l’entité.
La Lys est un cours d’eau navigable qui fait ici office de frontière avec la France (Nord – Lille).
La briqueterie de PLOEGSTEERT se situe dans le bassin de la Lys.
Les dépôts de la Lys au fil du temps ont amené là un matériau dont l’homme a pu tirer partie afin de former des briques.
L’excavation du limon et de l’argile pour la fabrication des briques laisse place à des carrières, appelées « trous » de briqueterie par les locaux.
Les sites d’excavation appartiennent toujours à la briqueterie de PLOEGSTEERT mais cette dernière a confié la gestion des « trous », après exploitation, à l’A.S.B.L. RNOP.
En effet, les « trous » n’ont pas été rebouchés. Ce qui nous permet aujourd’hui de jouir d’une zone humide d’une richesse exceptionnelle.
Certains « trous » sont gérés en étangs de pêche et on y laisse monter l’eau.
Dans d’autres, destinés au retour à la nature, des pompes maintiennent en permanence l’eau à un niveau très bas (entre 50cm et 1 m). La biodiversité des seconds éclate aux yeux par rapport aux premiers.
Grâce à ces eaux peu profondes, d’immenses roselières ont pu se développer et certaines pièces d’eau restées libres permettent à un grand nombre de canards et de grèbes de se nourrir toute l’année.
En visitant le site, on observera les différents stades de colonisation végétale : de la terre nue au niveau de l’extraction jusqu’à la saulaie, en passant par la typhaie (massettes) et la phragmitaie (roseaux).
Aujourd’hui, le site fait (étangs de pêche + réserve) environ 150 hectares.
Une partie de la RNOP est en ZHIB depuis 1994 , ainsi qu’en Natura 2000.
La gestion du site implique de gérer le niveau de l’eau, de lutter contre l’envahissement par les saules entre autres points d’importance.
Dans un cercle de 2 km autour de la RNOP, on trouve, la Lys et ses quelques restes de prairies humides, d’autres trous de briqueteries régionales (privées) et le site des PRES DU HEM (France, NORD, ARMENTIERES).
Dans ce dernier site se trouvent des colonies de nidification :
- Héron cendré : une colonie est aussi présente à la RNOP mais semble être dans sa phase de déclin, - Aigrette garzette : qui fréquentent peu la RNOP,
- Grand cormoran : qui fréquentent la RNOP mais n’y nichent pas.
2° Origine des adultes nicheurs
Dés leur arrivée, nous avons remarqué que l’un des oiseaux était bagué, il nous faudra quelques semaines avant de déchiffrer les bagues de couleurs.
L’oiseau à été bagué au lac de Grand lieu (Loire Atlantique - France ) par Loic Marion en 2003 ! Voici sa réponse :
« Je l'ai baguée jeune au nid le 30/4/2003 au lac de Grand-Lieu (Loire Atlantique, F), bague métal à droite CA 62127. Elle a été vue le 29/9/03 à Castro Marim près salinas Cerro do Bufo, Portugal, le 12/11/03 à Hato Blanco, Aznalcazar, Sevilla, Spain.
Le 28/5/04 et les 4 et 15/6/04 et 13/7/04 à l'étang de Juigny, Mauzé-Thouarsais (Deux Sèvres, F);
Elle a été vue sur ce site les 28/1/05, 5/2/05, 14/3/05, puis le 1/7/05, les 19-20/4/05.
Le 16/11/08 elle a été vue à "Caño du Guadiamar" Parque National de Doñana, Espagne.
Et enfin le 18/12/09 à Donana, Huelva, Spain. »
Donc, il semble que les Grandes aigrettes viennent de France et non des pays de l’est, une progression sud ouest / nord ouest pour des oiseaux en recherche de nouveaux territoires. Cela nous conforte dans l’idée que les oiseaux sont expérimentés. Ont-ils échoué lors d’une première tentative ailleurs ou ont-ils été dérangés, jamais nous ne le saurons. Mais la tentative de nidification a commencé vraiment tardivement.
3° Morphologie, comportement et milieu de vie de la Grande aigrette
* Description des adultes nicheurs : les exemplaires observés à la RNOP étaient au 27/05/2012 :
Posés : Bec noir à tache basale vert clair. Posé, on voyait nettement que les crosses dépassaient l’extrémité du corps. Les tibias et les tarses étaient rouge (corail).
* Description des adultes hors plumage nuptial :
Posés : Bec jaune à tache basale vert clair mais moins voyant, moins criard que nuptiaux. Pattes : jaunâtre à grisâtre
* Description des juvéniles : les exemplaires observés à la RNOP étaient au 02/09/2012
Posés : Bec jaune. Absence de tache basale verte. Pattes grises.
L’espèce fréquente les milieux (eau douce) comme les phragmitaies, les thyphaies aussi bien en lisière qu’à l’intérieur du massif végétal. L’espèce n’a pas été observée en mulotage.
Dans le cas de la RNOP, le couple a niché dans un arbre situé à la limite entre le marais et le marécage du plus grand « trou », celui situé au nord du site et accolé au chemin de la Blanche. Il n’y avait qu’un couple nicheur. Il n’y a pas eu d’observation d’autres oiseaux. Pourtant à moins de 500 m à vol d’oiseau se trouve une colonie de nidification de hérons cendrés. Cette colonie est en nette diminution actuellement et les oiseaux créent même des sites satellites de nidification autour des vieux endroits de nidification. Le fait que cette colonie de héron cendré soit dans une phase de déclin a-t-il exercé un attrait supplémentaire (moins de concurrence alimentaire sur le site) à la venue de cette nouvelle espèce ? La question reste posée.
Vu les techniques de chasse observées : l’affût les pattes partiellement hors ou dans l’eau, la marche à pas lents dans l’eau peu profonde, le piétinement du fond, il est plus que probable qu’elle se nourrit d'invertébrés (vers, mollusques*, insectes,…) et de vertébrés (poissons, amphibiens aquatiques (et/ou terrestres).
* Le site est riche en écrevisse non indigènes.
A la clôture du présent article, le site de nidification n’a bien sûr pas encore été visité afin de détailler le nid. Ceci pourrait faire l’objet d’une suite à cet article.
4° Données livresques sur la nidification de la Grande Aigrette
DERAMAUX Alain, guide nature reconnu dans notre région et alentours, a bien voulu faire une recherche dans sa documentation personnelle très fournie et nous a communiqué ceci :
Selon les diverses livres consultés, les auteurs indiquent :
Ponte est de 2 à 5 œufs, pondus à 2 jours d’intervalle.
Début de couvaison : au 2ème œuf.
Durée moyenne de la couvaison : 25 (26) jours.
Les pulli restent au nid : 42 jours (à 50 jours) (Mouvements au bord du nid : +/- 3 semaines -planaison +/- 3 semaines.)
Indépendance : 60 jours après l’envol.
Dans le cas qui nous intéresse ici, nous avons donc extrapolé ceci :
Couvaison supposée au 2ème oeuf : 15/06/2012.
Eclosion : 10/07/2012 (entre le 10 et 16/07)
1ère observation des jeunes au nid à la mi juillet.
1er envol observé : 20/08/2012
60 jours pour indépendance = mi-octobre 2012.
5°Antécédants en Belgique
Olivier DOCHY m’a très gentiment communiqué que suite à un contact avec Glenn VERMEERSCH et Geert SPANOGHE de l’Institut de recherche pour la nature et la forêt (INBO Instituut voor Natuur- en Bosonderzoek) qu’il n’y aurait eu, en FLANDRE, qu’une seule tentative de nidification de la Grande aigrette en 2010. Celle-ci a eu lieu au Verrebroekse Plassen dans la zone portuaire d’Antwerpen (ANVERS). Le nid abandonné avant l’éclosion se trouvait sur un îlot bas. La raison retenue pourrait être un niveau d’eau trop élevé. Les années qui ont suivi, il y a eu des parades d’un oiseau ou d’un couple régulièrement jusqu’en mai mais ensuite les individus disparaissent.
De Thierry OPRY, j’ai appris que la tentative de nidification (juste la construction d'un nid) à Harchies remonte à l'été 2009. L'espèce y estive toujours bien sûre mais je ne pense pas qu'il y ait eu d'autre(s) tentative(s).
Elle niche depuis 1994 au Lac de Grand-Lieu où il y a plus de 150 couples actuellement. Elle est nicheuse en Somme depuis 2007.
6° Récit du suivi de la nidification par Thierry Tancrez
Photo Thierry Tancrez
Dimanche 27 mai 2012, je reçois un coup de fil de Alain et Julien Piette qui me signale la présence de deux Grandes aigrettes en plumage nuptial sur la réserve de Ploegsteert. Je m’y rends aussitôt pour constater cette bonne nouvelle. Effectivement les oiseaux présentent un plumage très caractéristique des grandes aigrettes qui nichent : haut des pattes rouges, lores d’un vert très marqué, bec complètement noir, longue aigrette sur le dos, de véritables oiseaux africains. Ce plumage est vraiment typique d’oiseaux construisant le nid et en pleine parade nuptial
Photo Thierry Tancrez
Ce qui m’intrigue immédiatement est leur comportement : les oiseaux vont dans tous les sens, ils semblent en pleine activité, et paraissent déjà connaître très bien le site. On peut donc supposer qu’ils ne sont pas arrivés ce dimanche mais au moins il y a quelques jours auparavant, car ils n’avaient pas été vus le week-end précédent.
Très rapidement nous comprenons leurs va et vient quand un oiseau passe en vol avec une immense branche dans le bec. Dans le deuxième bassin, il se dirige vers une rangée de jeunes saules dans la partie ouest. Ces arbres font moins de 4 mètres de haut. Les deux grandes aigrettes y apporteront des matériaux durant les dix jours qui suivront. Depuis le poste d’observation, il est impossible de voir le nid en construction, il paraît en contre bas enfoncé dans la végétation des arbres.
Cette période fut également l’occasion de les voir chercher des branches à différents hauteurs : soit au sol le long des berges, soit directement sur les arbres. Avec parfois des situations cocasses où les oiseaux s ‘évertuent à tirer sur de grosses branches mais en vain. La recherche de matériaux était incessante et les allers-retours constants. Lors des retrouvailles au nid, on pouvait constater une grosse excitation et des vols de parade.
Photo J-M Vandelannoitte
Durant cette période est apparu comme une attirance d’autres oiseaux sur le lieu de construction du nid. Les Hérons cendrés restaient posés à côté du nid où tournoyaient jusqu’à une dizaine. Pourtant la héronnière n’est absolument pas située là, mais sur le premier bassin, J’ai cru qu’ils allaient eux aussi construire des nids. Un effet de curiosité ? Une excitation collective ? D’autres oiseaux comme le busard des roseaux et la corneille noire se poseront non loin, mais probablement pas pour les mêmes raisons.
Aux alentours de la mi-juin, la ponte a eu lieu car je ne vois plus les oiseaux ensemble, mais toujours un à la fois. Il est à noter que jamais je n’observerai les grandes aigrettes hors de la réserve, pourtant les lieux favorables à proximité sont légion, comme la réserve des prés du Hem à Armentières située à moins de 1 km.
Les oiseaux utiliseront l’ensemble de la réserve comme zone de pêche, principalement en bordure de roselière. Ils avancent lentement et utilisent la longueur de leur cou pour atteindre leurs proies. On peut également les observer chassant à l’affût, perchés sur des branches de saules. Les eaux très poissonneuses de la réserve leur permettront d’atteindre la nourriture facilement. Plusieurs fois je les verrai remonter des perches
La zone du nid est parfaitement isolée et complètement inaccessible à la fois pour les prédateurs potentiels mais aussi pour l’homme. Aucun nid de hérons et d’autres oiseaux ne se trouve à proximité, le couple s’est donc lancé seul dans l’aventure !
Durant la période de couvaison, la météo fut particulièrement désastreuse avec de fortes périodes de pluie et de vent, mais aussi des températures basses. Et pourtant, malgré ces conditions météorologiques défavorables, nos oiseaux occupaient toujours le site de nidification. Parfois l’un des adultes reste des heures posé en surplomb du nid sur une branche de bouleau dont l’extrémité est cassée, bravant les éléments !
Aux alentours de la mi-juillet, je tente une observation du nid à distance suivant un autre angle. En effet, depuis une semaine je remarquais des arrivées au nid plus fréquentes et des comportements qui ne trompent pas, comme la pose des oiseaux au nid avec les plumes de la tête complètement hérissées ainsi qu’une partie du cou, véritablement comme les hérons, comme si des jeunes oiseaux les attendaient déclenchant le signal d’arrivée. Après des heures d’attente, je devine enfin la très bonne nouvelle et je distingue à la longue vue des mouvements d’ailes très distincts de deux jeunes oiseaux différents, ils sont bien deux !
Les deux adultes sont particulièrement attentifs. Dans un premier temps, un adulte restera toujours au nid avec les jeunes, ensuite - durant toute la période de nourrissage - une des grandes aigrettes sera toujours à proximité, soit perchée sur ce fameux piquet naturel (bouleau), soit pêchant mais toujours à portée de vue. Je n’ai pas personnellement observé de défense du nid, ni d’ailleurs de prédation. Plusieurs Busards des roseaux utiliseront le « piquet perchoir » sans pour autant inquiéter le nid à quelques mètres en contre bas !
Les deux adultes pêchent inlassablement, très concentrés sur leur nourrissage, ils sont d’une très grande discrétion et parfois je mets quelques heures avant de les retrouver sur telle ou telle partie du bassin. Ainsi, il m’est arrivé de passer quelques heures à observer sans les voir.
Dés début juillet, un troisième oiseau adulte sera observé, on va dire une sorte de parrain de cette belle famille. L’oiseau se posera plusieurs fois près du nid semblant observer la scène !
Au cours de ces semaines, donc de mi juillet à l’envol des jeunes, le plumage nuptial des adultes s’est quasiment estompé, seule une pointe noire reste bien visible sur le bout du bec, les pattes étant aussi très noires et les aigrettes bien marquées sur le dos.
15 Août 2012, toujours aucun jeune à l’envol, mais la présence prolongée d’un adulte au nid sans nourrissage me fait penser que le grand jour approche.
Le 19 Août 2012, un oiseau me survole la gorge énorme, il est 20h et l’heure est au ravitaillement.
Le 20 Août , depuis l’observatoire du premier bassin, j’observe un oiseau bien différent des adultes, aucune crosse sur le dos, les pattes semblent plus claires voire verdâtres. Pourtant une belle pointe noire se remarque sur le bout du bec, mais moins marquée que chez les adultes. Des photos de l’oiseau en vol montrent un plumage frais. Par ailleurs, le comportement est presque risible, l’oiseau semble un peu gauche. Il passe de longs instants à regarder l’eau sans aucune action ni pêche.
Vers 20h30, je le vois décoller et passer la rangée d’arbres pour atteindre le deuxième bassin, j’accoure vers ce dernier mais je ne vois rien. Est-ce le jeune ? Un des deux ? Je quitte le site en m’interrogeant encore.
Le lendemain, je décide d’entreprendre une vérification et une approche du nid, sur la partie nord. L’accès à cette partie de la réserve est quasi impossible. Il me faudra beaucoup de persévérance pour trouver une lucarne donnant sur la bonne zone. Toute d’abord, je trouve un adulte posé sur le « piquet bouleau ». Il fait tranquillement sa toilette. Je dirige mes jumelles vers la droite à l’emplacement supposé du nid mais je ne vois toujours rien ! Pas la moindre forme de construction. Les minutes passent, rien … toujours rien…….
Soudain un timide bout d’aile apparaît, puis la tête entière, l’oiseau semble se dresser, oui c’est bien un des jeunes. Le nid est vraiment bas, 3m50 de haut tout au plus. L’oiseau est seul et semble réclamer sa pitance. L’adulte, situé non loin de là, ne bouge pas et ne semble pas du tout s’en inquiéter. Une tactique pour faire partir le jeune oiseau ? Sans doute !
L’émotion est à son comble : quels instants magiques !
Le 22 août et bien sûr les jours suivants, les deux juvéniles seront observés ensemble avec les adultes, soit 4 oiseaux. Ces observations successives, corroborées par d’autres ornithologues fréquentant le site, confirment de manière certaine que la nidification de la Grande aigrette dans la Réserve Naturelle et Ornithologique de Ploegsteert (RNOP) est réussie.
Contrairement aux parents qui s’éviteront soigneusement durant les semaines qui suivront l’envol des jeunes, ces derniers se posteront plusieurs fois à proximité du nid.
Autre comportement inédit : les deux jeunes oiseaux restent ensemble quasiment collés l’un à l’ autre, avec des échanges de becs et des pêches communes, comme si des liens forts les liaient !
A partir de la mi-septembre, les grandes aigrettes seront de moins en moins visibles sur les argilières. Pourtant, encore au moment j’écris ces lignes, un juvénile reste toujours sur le site, observable la plupart du temps sur le premier bassin dans lequel la mégaphorbiaie lui permet de trouver de multiples perchoirs à proximité de l’eau.
Il est à noter que sur la réserve ornithologique d’Armentières deux couples d’Aigrette garzette réussiront la nidification de 4 jeunes à l’envol au même moment !
Nous verrons au printemps 2013 si les grandes aigrettes resteront fidèles à ce merveilleux site qu’est la Réserve Naturelle et Ornithologique de e Ploegsteert
Je dédie toutes mes heures d’observation et ce modeste texte à José TAHON Conservateur de la réserve des argilières de Ploegsteert
Ont participés, directement ou indirectement, à la rédaction de cet article : Thierry Tancrez, Windels Martin, Hélène Join-Spriet, Thérèse Lefranc, Alain Deramaux et Yves Dubuc.
Les photos sont de Thierry Tancrez , Bastien Juif et Jean-Marie Vandelannoitte.
PS : Une description complète des différents plumages de la Grande aigrette, avec photos à l’appui, suivra dans les mois qui viennent.
Photo Thierry Tancrez
Photo Thierry Tancrez
Prochainement un diaporama complet illustrera cette merveilleuse aventure.
Photo Jean-Marie Vandelannoitte